dimanche 1 juin 2014



Jean Baudrillard : La société de consommation, ses mythes, ses structures (1970)

Quatrième de couverture :

"La société de consommation est devenue la morale de notre monde. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du logos.
L'auteur précise : "Comme  la société du Moyen Âge s'équilibre sur la consommation et sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation et sur sa dénonciation."

Le Pacte avec le Diable est [... ] depuis le haut Moyen Âge, le mythe central d'une société engagée dans le processus historique et technique de domination de la Nature, ce processus étant toujours simultanément un processus de domestication de la sexualité. L' "apprenti sorcier" occidental a constamment thématisé dans les forces du Mal, indexé sur le Diable, l'immense culpabilité liée à l'entreprise puritaine et prométhéenne de progrès, de sublimation et de travail, de rationalité et d'efficience. C'est pourquoi ce thème médiéval de resurgissement du refoulé, de hantise par le refoulé et de la vente de son âme (le "pacte") reflétant l'irruption des processus de marché dans la première société bourgeoise) s'est vu ressuscité par les romantiques dès les premiers temps de l'"Ere Industrielle". Depuis, le thème court toujours (parallèlement au miracle de la Technique) derrière le mythe de la fatalité de la technique. Il imprègne aujourd'hui encore toute notre science-fiction, et toute la mythologie quotidienne, depuis le péril de la catastrophe atomique (le suicide technique de la civilisation) jusqu'au thème mille fois orchestré du décalage fatal entre le Progrès technique et la morale sociale des hommes. (pp. 307 - 308)
[...]
Le mythe du Pacte et de l'Apprenti Sorcier est encore un mythe démiurgique, celui du Marché, de l'Or et de la Production dont l'objectif transcendant se retourne contre les hommes eux-mêmes. La consommation, elle, n'est pas prométhéenne, elle est hédoniste et régressive. Son procès n'est plus un procès de travail et de dépassement, c'est un procès d'absorption de signes et d'absorption par les signes. Elle se caractérise donc, comme le dit Marcuse, par la fin de la transcendance. Dans le procès généralisé de consommation, il n'y a plus d'âme, d'ombre, de double, d'image au sens spéculaire.
(p. 308)
[...]
Il n'y a donc plus non plus d'instance maléfique comme celle du Diable, avec qui s'engager par un pacte faustien pour acquérir la richesse et la gloire, puisque ceci vous est donné par une ambiance bénéfique et maternelle, la société d'abondance elle-même. Ou alors il faut supposer que c'est la société entière, "Société Anonyme", S.A.R.L., qui a passé contrat avec le Diable, qui lui a vendu toute transcendance, toute finalité au prix de l'abondance, et est hantée désormais par l'absence de fins.
Dans le monde spécifique de la consommation, il n'y a plus de transcendance, même pas celle fétichiste de la marchandise, il n'y a plus qu'immanence à l'ordre des signes.
[...]
Il n'y a plus de miroir ou de glace dans l'ordre moderne, où l'homme soit affronté à son image pour le meilleur ou pour le pire. Il n'y a plus que de la vitrine - lieu géométrique de la consommation, où l'individu ne se réfléchit plus lui-même, mais s'absorbe dans la contemplation des objets/signes multipliés, s'absorbe dans l'ordre des signifiants du statut social, etc. Il ne s'y réfléchit plus, il s'y absorbe et s'y abolit. Le sujet de la consommation c'est l'ordre des signes.
(pp. 309 - 310)


Denoël / Folio essais



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire