vendredi 14 septembre 2012

Les habitants d'un pays totalitaire

" Les habitants d'un pays totalitaire sont jetés et pris dans le processus de la Nature ou de l'Histoire en vue d'en accélérer le mouvement ; comme tels, ils ne peuvent être que les exécutants ou les victimes de la loi qui lui est inhérente. Le cours des choses peut décider que ceux qui aujourd'hui éliminent des races et des individus, ou les représentants des classes agonisantes et les peuples décadents, sont demain ceux qui doivent être sacrifiés. Ce dont a besoin le pouvoir totalitaire pour guider la conduite de ses sujets, c'est d'une préparation qui rende chacun d'entre eux apte à jouer AUSSI BIEN (je souligne) le rôle de bourreau que celui de victime. Cette préparation à deux visages, substitut d'un principe d'action, est l'idéologie."

Hannah Arendt, Le totalitarisme, p. 824, Gallimard (Quarto)

4° de couverture de "Les origines du totalitarisme" (écrit entre 1946 et 1950).


Qu'en est-il maintenant de l'idéologie ?
Quelles formes, grossières et subreptices, prend cette "préparation" ?
Et bien évidemment, comment y échapper autant que faire se peut ?
Telles sont les questions qui sont ici en suspens - et éventuellement en débat.



Si on remplace Nature ou Histoire par Techno-science, c'est le même processus qui se poursuit ...


"Le génie de Hannah Arendt consista, au plus fort du stalinisme, à effectuer la synthèse des travaux conduits sur la société de masse et les régimes de parti unique, l’organisation de l’enthousiasme et la révolution permanente, les tyrannies modernes et les religions politiques, pour proposer un modèle pur et parfait du totalitarisme fondé sur la combinaison de l’idéologie et de la terreur, dont les symboles sont les procès et les camps de concentration.
Le totalitarisme, selon Hannah Arendt, présente une nouveauté radicale, irréductible aux despotismes ou tyrannies traditionnelles. Il ne constitue pas un régime politique qui obéirait à un principe, au sens de Montesquieu ; son essence est à chercher dans une idéologie qui s’incarne dans la propagande et la terreur. Dans la société de masse, les individus atomisés sont encadrés par des mouvements qui exigent une allégeance inconditionnelle. Naissent alors les Etats totalitaires, englobant l’ensemble de la société et retournant “la force produite par l’organisation” contre le monde extérieur, érigeant en normes positives de prétendues lois de la Nature ou de l’Histoire, s’appuyant sur une légitimité prétendument supérieure pour déchaîner la violence des masses vers les races ou les classes maudites. D’où les camps, dont la monstruosité même démontre que “tout est possible” et qui servent de laboratoire à l’homme nouveau, parachevant, après la destruction de la personnalité juridique et la suppression de la personne morale, l’anéantissement de l’individu."

Nicolas Baverez
in
Magazine Littéraire n° 337
Novembre 1995


      

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